Après une succession de réformes visant à étendre la liste des fichiers, la gamme des informations collectées et la durée de conservation des données, la lecture des articles de la LOPPSI 2 (art. 11 et suivants) consacrés au sujet déclenche de prime abord un sentiment de soulagement. Hormis l’extension du champ d’application des fichiers d’analyse sérielle aux infractions contre les biens punies de cinq ans d’emprisonnement (au lieu de sept ans précédemment), le texte se contente d’intégrer dans le code de procédure pénale, sans modification particulièrement liberticide, les dispositions de la loi du 18 mars 2003 encadrant jusqu’alors la matière.
Au crédit du législateur, il faut même reconnaître que la loi renforce les dispositifs de contrôle et d’apurement. Compte tenu de la surcharge de travail des parquets, nombre de suites judiciaires favorables aux personnes mises en cause (classement, relaxe, etc.) ne sont jamais transmises aux forces de police pour que les fiches soient modifiées ou supprimées. Seuls 21,5 % des classements pour insuffisance de charges ou infraction mal caractérisée, 0,47 % des décisions de non-lieu, 6,88 % des acquittements et 31,17 % des relaxes ont été transmis aux services de police pour rectification en 2007 (CNIL, Conclusions du contrôle du STIC, 2009, p. 17 et s.). Lorsque la LOPPSI 2 entrera en vigueur, les procureurs de la République auront pour obligation de procéder aux demandes d’effacement ou de rectification, et ce dans un délai d’un mois. Au niveau national, un magistrat sera parallèlement nommé pour contrôler et assurer la mise à jour des fichiers. Il pourra agir d’office ou à la demande de particuliers, disposera d’un accès direct aux traitements, d’un pouvoir de rectification et d’effacement des données. Autre modification, la requalification judiciaire des faits (par exemple un vol aggravé en vol simple), qui est de droit, ne supposera plus une demande préalable de la personne concernée. Le parquet pourra toujours s’opposer discrétionnairement à l’effacement des données en cas de relaxe, d’acquittement, de non-lieu ou de classement, ce qui pose évidemment problème dans un Etat de droit qui n’a pas (encore ?) renoncé au principe essentiel de la présomption d’innocence. Néanmoins, la personne devra en être avisée. Le nouvel article 230-8 du C.P.P. précise également que les données conservées malgré l’absence de condamnation pénale ne peuvent être consultées à l’occasion des enquêtes de moralité préalables au recrutement de certains professionnels (policiers, magistrats, agents privés de sécurité, etc.).
Le gouvernement et les parlementaires auraient-ils enfin pris la mesure des exigences citoyennes de protection des libertés fondamentales, telles qu’elles se sont manifestées en 2009 lors de la fameuse polémique « EDVIGE » ? On peut en douter et même s’interroger sur la stratégie poursuivie par les pouvoirs publics.
Un train législatif qui en cache un autre
Malgré les avancées positives de la loi d’orientation, il est peu probable que les magistrats aient les moyens d’effectuer convenablement leur mission d’apurement. Les contrôles et rectifications sont pour l’instant plus théoriques qu’effectifs, même s’ils devraient s’accentuer suite à l’installation progressive du logiciel Cassiopée dans les juridictions. Les parquets ne disposent pas de terminaux d’accès aux fichiers policiers, accès pourtant expressément prévu par la loi du 18 mars 2003. Il faudra également plusieurs décennies, sinon plusieurs siècles, pour que l’unique magistrat chargé d’assurer la mise à jour des fichiers épuise le stock des enregistrements inexacts ou incomplets (plus d’un million de fiches).
Un suivi attentif des réformes en cours démontre par ailleurs que les pouvoirs publics n’ont pas l’intention de bouleverser l’économie générale de la législation applicable, bien au contraire. Alors que la LOPPSI 2 offrait l’occasion de refondre entièrement la matière, les parlementaires s’apprêtent à modifier la loi informatique et libertés dans un texte parallèle, mais dont la médiatisation est moindre. De là à penser que les garanties judiciaires offertes par la très médiatique LOPPSI 2 visent à renforcer l’acceptabilité des fichiers, pour faciliter dans un second temps la réception de nouvelles dispositions liberticides, il n’y a qu’un pas.
Suite à un amendement de J.-A. Bénisti, la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, adoptée en deuxième lecture par l’assemblée nationale le 9 février 2011 et renvoyée devant le sénat, valide la création de la plupart des fichiers de police par arrêté ou par décret en Conseil d’Etat lorsqu’ils contiennent des données « sensibles » (origine ethnique, orientation sexuelle, opinions politiques, etc.). En 2009, dans un rapport consacré à la question, le même Bénisti avait pourtant précisé que « l’équilibre fragile, qu’il convient de trouver entre les besoins opérationnels des services de police pour l’exercice de leurs missions et la protection des libertés individuelles de tout citoyen, nécessite l’intervention et le contrôle du Parlement ». Pour justifier son revirement, ce député rétorquera sans doute que les parlementaires ont eu pour seul objectif d’encadrer davantage les prérogatives de l’exécutif. Ils entendent effectivement insérer à l’article 26 de la loi informatique et libertés une liste de finalités qui seules pourraient justifier la création par voie réglementaire de traitements qui intéressent la sécurité publique, la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales (art. 29 bis de la proposition de loi). Pour passer outre l’intervention du législateur, il suffira toutefois au gouvernement de puiser dans la longue liste de finalités, composée de douze motivations quelque peu imprécises (prévention des infractions, centralisation des informations destinées à informer le Gouvernement afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique, etc.).
Cette proposition de loi autorise également les procureurs de la République à faire état d’informations visées dans les fichiers d’antécédents à l’occasion d’une comparution immédiate (Article 29 nonies). Cette réforme aurait le mérite d’encadrer les pratiques officieuses constatées dans quelques juridictions, et de porter à la connaissance de la défense l’utilisation des fiches STIC dans le processus pénal. Elle aurait toutefois pour effet de cautionner des pratiques attentatoires à la présomption d’innocence. Permettre au parquet d’utiliser ce casier judiciaire parallèle pour décider de l’opportunité des poursuites, choisir telle voie procédurale ou fixer la peine requise à l’audience conduirait à faire peser sur le mis en cause une présomption de culpabilité, fondée sur des faits antérieurs à ceux poursuivis et n’ayant pas donné lieu à condamnation. De tels procédés montrent qu’une simple suspicion suffit désormais à transformer les « clientèles policières » en délinquants avérés, au mépris de l’exigence d’un jugement sur la culpabilité. Une nouvelle fois, le prétendu « droit à la sécurité » tend à supplanter le « droit à la sûreté », dont il n’est pourtant qu’une déclinaison. Au nom d’un principe de précaution perverti, d’un contrôle et d’une neutralisation préventive des populations présumées dangereuses, l’Etat de droit se plie chaque jour davantage au règne de l’arbitraire.
Virginie GAUTRON
http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2011/03/17/La-r%C3%A9forme-des-fichiers-de-police-:-vers-de-nouvelles-dispositions-liberticides
Au crédit du législateur, il faut même reconnaître que la loi renforce les dispositifs de contrôle et d’apurement. Compte tenu de la surcharge de travail des parquets, nombre de suites judiciaires favorables aux personnes mises en cause (classement, relaxe, etc.) ne sont jamais transmises aux forces de police pour que les fiches soient modifiées ou supprimées. Seuls 21,5 % des classements pour insuffisance de charges ou infraction mal caractérisée, 0,47 % des décisions de non-lieu, 6,88 % des acquittements et 31,17 % des relaxes ont été transmis aux services de police pour rectification en 2007 (CNIL, Conclusions du contrôle du STIC, 2009, p. 17 et s.). Lorsque la LOPPSI 2 entrera en vigueur, les procureurs de la République auront pour obligation de procéder aux demandes d’effacement ou de rectification, et ce dans un délai d’un mois. Au niveau national, un magistrat sera parallèlement nommé pour contrôler et assurer la mise à jour des fichiers. Il pourra agir d’office ou à la demande de particuliers, disposera d’un accès direct aux traitements, d’un pouvoir de rectification et d’effacement des données. Autre modification, la requalification judiciaire des faits (par exemple un vol aggravé en vol simple), qui est de droit, ne supposera plus une demande préalable de la personne concernée. Le parquet pourra toujours s’opposer discrétionnairement à l’effacement des données en cas de relaxe, d’acquittement, de non-lieu ou de classement, ce qui pose évidemment problème dans un Etat de droit qui n’a pas (encore ?) renoncé au principe essentiel de la présomption d’innocence. Néanmoins, la personne devra en être avisée. Le nouvel article 230-8 du C.P.P. précise également que les données conservées malgré l’absence de condamnation pénale ne peuvent être consultées à l’occasion des enquêtes de moralité préalables au recrutement de certains professionnels (policiers, magistrats, agents privés de sécurité, etc.).
Le gouvernement et les parlementaires auraient-ils enfin pris la mesure des exigences citoyennes de protection des libertés fondamentales, telles qu’elles se sont manifestées en 2009 lors de la fameuse polémique « EDVIGE » ? On peut en douter et même s’interroger sur la stratégie poursuivie par les pouvoirs publics.
Un train législatif qui en cache un autre
Malgré les avancées positives de la loi d’orientation, il est peu probable que les magistrats aient les moyens d’effectuer convenablement leur mission d’apurement. Les contrôles et rectifications sont pour l’instant plus théoriques qu’effectifs, même s’ils devraient s’accentuer suite à l’installation progressive du logiciel Cassiopée dans les juridictions. Les parquets ne disposent pas de terminaux d’accès aux fichiers policiers, accès pourtant expressément prévu par la loi du 18 mars 2003. Il faudra également plusieurs décennies, sinon plusieurs siècles, pour que l’unique magistrat chargé d’assurer la mise à jour des fichiers épuise le stock des enregistrements inexacts ou incomplets (plus d’un million de fiches).
Un suivi attentif des réformes en cours démontre par ailleurs que les pouvoirs publics n’ont pas l’intention de bouleverser l’économie générale de la législation applicable, bien au contraire. Alors que la LOPPSI 2 offrait l’occasion de refondre entièrement la matière, les parlementaires s’apprêtent à modifier la loi informatique et libertés dans un texte parallèle, mais dont la médiatisation est moindre. De là à penser que les garanties judiciaires offertes par la très médiatique LOPPSI 2 visent à renforcer l’acceptabilité des fichiers, pour faciliter dans un second temps la réception de nouvelles dispositions liberticides, il n’y a qu’un pas.
Suite à un amendement de J.-A. Bénisti, la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, adoptée en deuxième lecture par l’assemblée nationale le 9 février 2011 et renvoyée devant le sénat, valide la création de la plupart des fichiers de police par arrêté ou par décret en Conseil d’Etat lorsqu’ils contiennent des données « sensibles » (origine ethnique, orientation sexuelle, opinions politiques, etc.). En 2009, dans un rapport consacré à la question, le même Bénisti avait pourtant précisé que « l’équilibre fragile, qu’il convient de trouver entre les besoins opérationnels des services de police pour l’exercice de leurs missions et la protection des libertés individuelles de tout citoyen, nécessite l’intervention et le contrôle du Parlement ». Pour justifier son revirement, ce député rétorquera sans doute que les parlementaires ont eu pour seul objectif d’encadrer davantage les prérogatives de l’exécutif. Ils entendent effectivement insérer à l’article 26 de la loi informatique et libertés une liste de finalités qui seules pourraient justifier la création par voie réglementaire de traitements qui intéressent la sécurité publique, la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales (art. 29 bis de la proposition de loi). Pour passer outre l’intervention du législateur, il suffira toutefois au gouvernement de puiser dans la longue liste de finalités, composée de douze motivations quelque peu imprécises (prévention des infractions, centralisation des informations destinées à informer le Gouvernement afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique, etc.).
Cette proposition de loi autorise également les procureurs de la République à faire état d’informations visées dans les fichiers d’antécédents à l’occasion d’une comparution immédiate (Article 29 nonies). Cette réforme aurait le mérite d’encadrer les pratiques officieuses constatées dans quelques juridictions, et de porter à la connaissance de la défense l’utilisation des fiches STIC dans le processus pénal. Elle aurait toutefois pour effet de cautionner des pratiques attentatoires à la présomption d’innocence. Permettre au parquet d’utiliser ce casier judiciaire parallèle pour décider de l’opportunité des poursuites, choisir telle voie procédurale ou fixer la peine requise à l’audience conduirait à faire peser sur le mis en cause une présomption de culpabilité, fondée sur des faits antérieurs à ceux poursuivis et n’ayant pas donné lieu à condamnation. De tels procédés montrent qu’une simple suspicion suffit désormais à transformer les « clientèles policières » en délinquants avérés, au mépris de l’exigence d’un jugement sur la culpabilité. Une nouvelle fois, le prétendu « droit à la sécurité » tend à supplanter le « droit à la sûreté », dont il n’est pourtant qu’une déclinaison. Au nom d’un principe de précaution perverti, d’un contrôle et d’une neutralisation préventive des populations présumées dangereuses, l’Etat de droit se plie chaque jour davantage au règne de l’arbitraire.
Virginie GAUTRON
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